CHAPITRE 9

Ce n’est pas douloureux. De morphoser, je veux dire. Je caressai un moment Homer en me sentant complètement idiot.

— C’est le truc le plus stupide que j’aie fait de ma vie, dis-je à Tobias.

— Écoute, il faut te concentrer. Moi, en tout cas, c’est ce que j’ai fait. Je me suis formé une image mentale de Doudou, tu comprends ? J’ai pensé à devenir lui.

— Je vois. Il faut que je… médite sur le fait de devenir un chien.

— C’est ça. Tu dois y penser. Le vouloir.

Logiquement, j’aurais dû me dire qu’il était en plein délire. Seulement, je venais de le voir se transformer en chat. Alors si lui était fou, je l’étais également.

Je pensai à devenir Homer. En lui lissant le poil, je me formai mentalement une image de moi devenant Homer. Homer était étrangement calme. Comme s’il dormait, mais ses yeux étaient ouverts.

— Exactement comme Doudou, commenta Tobias. J’ai l’impression que l’opération plonge l’animal dans une sorte de transe.

— Il est simplement effrayé parce qu’il se dit que son maître est fou, répliquai-je en continuant à caresser Homer qui ne bougeait toujours pas. Bon, et maintenant ? demandai-je à Tobias.

— Maintenant, il vaudrait mieux mettre Homer dehors. Ça risque de l’affoler de te voir devenir lui.

Homer mit une dizaine de secondes à émerger de sa transe, mais je retrouvai alors le Homer habituel, exubérant et débordant d’énergie. Je le sortis dans la cour.

Quand je regagnai ma chambre, Tobias m’attendait patiemment.

— Fais un essai, me conseilla-t-il. Pense à ce que tu fais. Il faut le vouloir.

Je respirai à fond, fermai les yeux et reconstituai l’image mentale de Homer. Je songeai à devenir Homer. J’ouvris les yeux.

— Ouah, ouah ! fis-je en riant. J’ai l’impression qu’avec moi, ça ne marche pas, Tobias.

Le dos de ma main me démangeait, je me grattai.

— Jake ? dit Tobias.

— Quoi ?

— Regarde ta main.

Je regardai ma main. Elle était couverte de poils fauves.

Je sautai en l’air en poussant un cri horrifié. Quand je baissai à nouveau les yeux, les poils avaient cessé de pousser.

— N’aie pas peur, me rassura Tobias. Laisse-toi faire. Là, tu as interrompu le processus de l’animorphe. Il faut que tu te concentres.

— Ma main ! bredouillai-je. Elle est velue !

— Oui, dit Tobias, et tes oreilles…

Je courus me regarder dans un miroir. Mes oreilles avaient changé de place. Elles étaient remontées sur les côtés de ma tête et étaient indiscutablement plus grandes qu’elles n’auraient dû.

— Continue, c’est super ! s’exclama Tobias.

— Super ? C’est… c’est répugnant, oui. C’est insensé. C’est… Mais, enfin, regarde mes mains ! Je suis poilu !

— Tu es obligé d’y passer, insista Tobias.

— Rien ne m’y oblige, rétorquai-je.

Tobias hocha la tête.

— D’accord, tu as raison. Rien ne t'y oblige. Tu peux oublier ce que nous avons vu hier soir. Et ce que nous avons appris. Et quand les Yirks contrôleront de plus en plus de gens, tu pourras te contenter de l’ignorer. Nous pouvons tous fermer les yeux et continuer à vivre dans un monde où les êtres humains ne sont que des corps destinés à être utilisés par des assassins venus de l’espace.

Je reconnus que, présenté sous cet angle, cela ne semblait pas une perspective très attrayante.

— Vas-y, insista Tobias.

J’avalai ma salive, je fermai les yeux et je songeai à Homer. A devenir Homer.

Les démangeaisons reprirent et, quand j’ouvris les yeux, des poils poussaient sur mes bras. Et sur mon visage. Et des touffes sortaient de sous mon col. Mes jambes me grattaient, et je constatai qu’elles aussi se couvraient de poils.

Mes os… eh bien, ils ne me faisaient pas vraiment mal, mais ils semblaient bizarres. Vous savez ce qui se passe chez le dentiste quand il vous endort, plus parce que vous avez peur de la roulette que pour vous éviter la souffrance ? Eh bien, c’était à peu près ça.

Mes os raccourcirent. Je sentis ma colonne s’allonger en s’étirant pour former une queue. On entendit un craquement lorsque mes genoux plièrent brusquement en sens inverse. Je basculai en avant, incapable de tenir debout.

Lorsque mes mains touchèrent le sol, elles n’étaient plus exactement des mains. Les doigts avaient disparu. Il ne restait que des ongles, courts et épais. Mon visage s’allongea, mes yeux se rapprochèrent.

Tobias se leva et inclina la glace pour que je puisse me voir.

J’assistai à la transformation finale, lorsque les dernières taches roses de chair humaine disparurent et que la queue – ma queue – atteignit sa taille réelle.

J’étais un chien. C’était incroyable, mais le fait était là : j’étais un chien.

Je me rendais compte que tout cela aurait dû me terrifier, mais ce n’était pas le cas. J’étais complètement étourdi, électrisé. Le bonheur me submergeait. J’étais véritablement inondé de bonheur.

Je respirai avec mon nez ridiculement long, et ouah, ouah ! Les odeurs ! Vous n’avez pas idée de ce que c’est J’aspirais un peu d’air et, aussitôt, je savais que maman faisait des gaufres dans la cuisine et que Tobias avait traversé le territoire d’un grand chien mâle. Et je savais aussi un tas de choses que je serais incapable de décrire avec des mots humains. Comme si, après avoir été aveugle toute sa vie, on se mettait brusquement à voir.

Je courus renifler la chaussure de Tobias, histoire de me faire une idée plus précise de ce grand chien mâle. L’odeur de son urine, ramassée par la chaussure de Tobias, me permit de me former une sorte d’image de lui. Il faut dire que Homer le connaissait. Ses propriétaires l’appelaient Sam. Il était châtré, comme moi. Il passait le plus clair de son temps dans sa cour, mais il lui arrivait parfois de s’échapper en creusant un trou sous sa clôture. Il se nourrissait d’un mélange d’aliments secs et de conserves. Pas de restes de nourriture fraîche, contrairement à moi.

Tous ces renseignements me remplirent à nouveau de joie, et je remuai la queue. Je levai les yeux vers Tobias. Il me parut grand, bizarre et pas spécialement élégant. Regarder les choses ne m’intéressait guère. Les sentir était infiniment plus agréable.

Un intrus !

Il y avait du bruit dans la cour. Un chien ! Un chien inconnu dans ma cour. Un intrus !

Je courus à la fenêtre, me dressai sur mes pattes de derrière et me déchaînai.

— Ouah ! Ouah-ouah ! Grrrrrrrr !

J’aboyai de toutes mes forces. Pas question de laisser un chien inconnu se balader dans ma cour.

— T’excite pas, Jake, me dit Tobias. C’est Homer qui est dehors.

Homer ? Comment ? Mais c’est moi qui…

Je rentrai ma queue entre mes pattes : Qu’est-ce qui se passait ?

— Écoute-moi, Jake, dit Tobias. Il m’est arrivé exactement la même chose quand j’ai morphosé en chat. Le cerveau du chien fait maintenant partie du tien. Il faut t’en accommoder.

< Mais il y a un chien dans ma cour. >

— C’est Homer, Jake. Tu es Jake, mais tu habites dans un corps copié sur l’ADN de Homer. Celui qui est dehors, c’est le vrai Homer. C’est toi qui l’as mis là. Concentre-toi. Toi, tu es Jake, Jake.

Je respirai à fond. Ah, ces odeurs ! Il y en avait une, en particulier, que je ne parvenais pas tout à fait…

« Concentre-toi, Jake ! ordonnai-je à moi-même. Concentre-toi. »

Lentement, je calmai la partie chien de mon esprit.

« Oublie les odeurs. Oublie le bruit d’un chien dans ta cour. »

Ce ne fut pas facile, la première fois. Être un chien est si déroutant. D’abord, on ne peut rien faire à moitié. On n’est jamais plutôt content : on est vraiment content. On n’est jamais un peu malheureux : on est complètement, absolument malheureux. Et quand on a faim sous la forme d’un chien, on meurt de faim.

On frappa à ma porte. Parfaitement, ma porte. Je savais de nouveau qui j’étais. J’étais Jake. Un Jake à quatre pattes doté d’une truffe et d’une queue, mais Jake.

Les coups parurent incroyablement bruyants à mes oreilles de chien.

— Homer est avec toi, Jake ? demanda la voix de mon frère Tom. Empêche-le d’aboyer, maman téléphone.

Il ouvrit la porte, entra et jeta un coup d’œil dans la chambre. Il parut perplexe.

— Qui êtes-vous ? fit-il à Tobias.

— Je m’appelle Tobias. Je suis un copain de Jake.

— Où est-il passé ?

— Oh… par là, répondit Tobias.

Tom me regarda. Il dégageait une curieuse odeur que mon cerveau de chien ne parvint pas à identifier. C’était une odeur troublante, dangereuse qui, je ne sais pourquoi, évoqua dans ma tête l’écho d’un rire. Un rire bien humain que j’avais entendu la veille au soir, lorsque Vysserk Trois avait englouti l’Andalite.

— Sale cabot, me dit Tom. Tiens-toi tranquille, sale cabot.

Et il s’en alla, me laissant effondré. Je n’étais pas un sale cabot. Pas vraiment. Si j’aboyais, c’était parce qu’il y avait un autre chien dans ma cour. Sale cabot ? J’étais un sale cabot ? Non, je tenais à être un bon chien. Je rampai dans un coin et m’assis, profondément malheureux.

Tobias s’accroupit et me caressa la tête.

Quand il me gratta derrière les oreilles, je me sentis un petit peu mieux.

 

L'invasion
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